Courrier International
ÉDITORIAL, Jean-Hébert Armengaud     
Uruguay : des pétards, une bombe
Ecrasé par deux géants, le Brésil et l’Argentine, le minuscule Uruguay aurait pu ne jamais exister. Les soubresauts de l’Histoire en ont décidé autrement, et c’est heureux. Ce nain géographique a souvent pesé beaucoup plus, en Amérique latine et dans le monde entier, que sa maigre démographie. L’Uruguay fut l’un des premiers pays du monde à abolir la peine de mort, en 1907. Six ans plus tard, il autorisait les femmes à réclamer le divorce. Mais déjà, en 1877, il n’avait pas attendu Jules Ferry pour décréter l’école publique, gratuite – et quasi laïque – sous l’influence de penseurs et d’hommes politiques libéraux, au sens politique et noble du terme.
Un an plus tard naissait Horacio Quiroga, ce que l’Uruguay a légué de plus beau au monde de la littérature, donc au monde tout court. Encore un précurseur ? Ce poète et surtout nouvelliste inimitable fut, plus tard, qualifié de “père” du réalisme magique latino-américain – Alejo Carpentier, Julio Cortázar, Gabriel Garcia Márquez, etc. Pas sûr que cet esprit libre et inclassable aurait apprécié d’entrer ainsi dans une case. José Mujica, le président uruguayen, décalé, libre et inclassable lui aussi, aurait presque pu être l’un des personnages du grand recueil de nouvelles d’Horacio Quiroga Contes d’amour, de folie et de mort* – à lire et à relire – si ceux-ci n’étaient pas aussi terrifiants et tourmentés.
“Pepe” Mujica, lui, a les pieds bien accrochés à cette terre qu’il aime. Et c’est un précurseur. Seul au monde, il lance un grand projet : l’Etat uruguayen va contrôler la production et assurer lui-même la commercialisation du cannabis. Pour lutter contre la criminalité et la délinquance et tenter de soigner, avec un programme de santé publique adéquat, les accros du pétard. Une bombe.

IL A DIT
“Le pauvre, c’est celui qui a besoin de beaucoup”,  José Mujica
En juin dernier, lors de la conférence sur le développement durable des Nations unies Rio + 20, le président de l’Uruguay a fait un discours qui a été repris des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux. Extraits.
“Nous ne pouvons pas continuer, indéfiniment, à être gouverné par les marchés ; nous devons gouverner les marchés. […]
Les anciens penseurs Epicure, Sénèque ou même les Aymaras disaient : ‘Celui qui est pauvre n’est pas celui qui possède peu, mais celui qui a besoin de beaucoup et qui désire toujours en avoir plus.’ […]
Je viens d’un petit pays très riche en ressources naturelles. Dans mon pays, il y a 3 millions d’habitants. Un peu plus de 3 millions. Mais il y a aussi 13 millions de vaches, les meilleures du monde. Près de 8 à 10 millions de moutons parmi les plus succulents. Mon pays exporte de la nourriture, des produits laitiers, de la viande. C’est une grande plaine où près de 80 % du territoire est exploitable. Mes compatriotes se sont battus pour obtenir la journée de travail de huit heures. Aujourd’hui, ils travaillent six heures. Mais celui qui travaille six heures doit cumuler deux boulots ; donc il travaille encore plus qu’avant. Pourquoi ? Parce qu’il accumule les crédits à rembourser : la moto, la voiture… toujours plus de crédits. Et, quand il a fini de payer, c’est un vieillard perclus de rhumatismes, comme moi, et la vie est passée. Je vous pose la question. Est-ce que c’est cela la vie ? Nous touchons ici au cœur du problème. Le développement ne doit pas être opposé au bonheur, il doit favoriser le bonheur des hommes, il doit favoriser l’amour, les relations humaines, permettre de s’occuper de ses enfants, d’avoir des amis, d’avoir le nécessaire. Parce que c’est précisément la chose la plus précieuse. Et, dans notre combat pour l’environnement, n’oublions pas que l’élément essentiel, c’est le bonheur des hommes. Merci.

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