Paris Match
L'exploit français

Rencontre avec l'un des pères du coeur artificiel

Rencontre avec l'un des pères du coeur artificiel
Samedi 21 décembre à l’hôpital Georges-Pompidou. De g. à dr. : le Pr Alain Carpentier, Jean-Claude Cadudal, directeur de Carmat, le Pr Jean-Noël Fabiani, chef du service de chirurgie cardiaque, Marc Grimmé, directeur technique chez Carmat, le Pr Christian Latrémouille, l’un des deux chirurgiens cardiaques qui ont effectué l’implantation, et Patrick Coulombier, directeur général adjoint de Carmat. En médaillon: L’enveloppe du cœur est constituée de tissu biologique pour éviter la formation de caillots. © Baptiste Giroudon
Le 24 décembre 2013 | Mise à jour le 26 décembre 2013

Pour la première fois, une machine remplace l’organe vital dans le corps d’un homme

Paris Match. Le rêve de tous les chirurgiens cardiaques est devenu réalité. Le Pr Alain Carpentier a créé un cœur artificiel autonome, censé fonctionner plusieurs années en attente d’une greffe. Comment est né ce concept ?
Pr Jean-Noël Fabiani. Dès le début des années 1930, deux hommes d’exception, Alexis Carrel, Prix Nobel de médecine, et le célèbre aviateur Charles Lindbergh, avaient construit en laboratoire un prototype de cœur artificiel. Puis il y eut la guerre et les travaux ont été interrompus. Plus tard, en 1957, aux Etats-Unis, le chirurgien Willem Kolff, qui avait déjà inventé le rein artificiel, a mis au point un cœur synthétique fonctionnant à air comprimé. Il l’a implanté à un chien qui a survécu quatre-vingt-dix minutes. Une prouesse pour l’époque, qui motiva fortement le monde chirurgical et l’encouragea à effectuer un premier essai chez l’homme. En 1963, à Houston, c’est aussi avec un cœur d’assistance que Domingo Liotta, chirurgien argentin, tenta de sauver un premier malade, qui mourut quatre jours plus tard. Le rêve n’était pas encore devenu réalité. Mais en 1966 on franchissait une nouvelle étape : un autre chirurgien de Houston, Michael DeBakey, permettait à une femme de survivre dix jours avec un cœur d’assistance circulatoire, le temps que le sien batte à nouveau normalement. En 1967, avec l’arrivée de la transplantation cardiaque réussie par le Pr Christiaan Barnard, tout change : c’est un événement fondamental ! On entre dans l’ère des appareils d’assistance ventriculaire en attente de greffe, puisque désormais les transplantations sont possibles. Un peu partout dans le monde, les équipes conçoivent des machines. Mais l’idée d’un cœur entier autonome définitivement implantable reste ­vivace et, en décembre 1982, à Salt Lake City, les Drs Robert Jarvik et Willem Kolff implantent un cœur de 100 kilos chez un dentiste en insuffisance cardiaque terminale, Barney Clark. Une première mondiale : une bombe ! Les retombées médiatiques furent considérables ; 300 reporters envahirent la cafétéria de l’hôpital et firent de Clark le “Spoutnik” de la médecine de l’époque. Les photos le montraient relié à une énorme console sur roulettes qu’il traînait derrière lui ; l’appareillage était aussi encombrant que lourd. Le malade apparaissait comme prisonnier de la machine destinée à fournir, par un câble, de l’énergie aux deux ventricules artificiels implantés dans sa poitrine. Malheureusement, les suites furent très compliquées, un calvaire pour le pauvre Clark. Après plusieurs accidents (AVC), il meurt quatre mois plus tard de défaillance multiviscérale. Comme les cinq essais qui suivirent ont été également des échecs, la FDA a suspendu l’usage du cœur artificiel. Depuis, de grands ­progrès ont été réalisés, permettant d’attendre une greffe. A Broussais, j’ai été le premier à utiliser, avec l’équipe du Pr DeBakey, des ventricules à turbines très maniables qui évitent les complications cardio-vasculaires majeures comme les AVC.

“Plusieurs ­milliers de malades ­pourront bénéficier d’une transplantation cardiaque”

Comment le Pr Alain Carpentier vous a-t-il annoncé qu’il allait pouvoir concrétiser financièrement son projet ?
Je suis son travail depuis vingt-cinq ans. J’ai toujours su que sa grande idée était de mettre au point un cœur constitué de tissu biologique afin d’éviter les problèmes de coagulation. Alain Carpentier est arrivé un jour en déclarant : “J’ai été très impressionné, séduit par Jean-Luc Lagardère. C’est un homme comme ça qu’il nous faut pour que notre projet aboutisse !” et il a ajouté : “Au lieu de fabriquer des missiles qui sèment la mort, pourquoi ne pas mettre toute cette compétence au service de la vie ?” Plus tard, lors de notre collaboration avec les ingénieurs, j’ai été littéralement bluffé par leur capacité à simuler toutes les ­situations pathologiques : hémorragie interne, embolie pulmonaire... Ce projet était devenu le leur, ils se l’étaient ­approprié, ce qui a constitué un élément fondamental du succès. Ils ont travaillé en étroite collaboration et ont très vite tout compris, du fonctionnement du cœur à l’apprentissage d’un langage commun avec les chirurgiens. Une fois le prototype établi, il a fallu le tester durant plusieurs années. Puis mon adjoint, le Pr Christian Latrémouille, s’est chargé des essais sur une quarantaine de veaux. Le cœur artificiel a été capable d’assurer une pression et un débit sanguin normaux et stables. Aucune complication n’a été observée. Si bien que Christian Latrémouille et les chirurgiens de l’équipe étaient prêts à réaliser une première implantation chez l’homme.
Comment ce premier patient a-t-il réagi quand vous lui avez proposé un cœur artificiel ?
Cet homme de 75 ans, atteint d’insuffisance cardiaque terminale, passait plus de temps à l’hôpital que chez lui malgré son traitement. Sa seule possibilité de survie était l’implantation d’un cœur artificiel. Il le savait et c’est sur sa demande que nous avons décidé de l’opérer. Il nous avait confié : “Dans mon état, mon existence ne vaut pas la peine d’être vécue.”...

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